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Michel Zévaco, romancier à succès et militant anarchiste

Aujourd'hui, intéressons nous à un auteur des années 1900, très politisé, qu'on a malheureusement un peu oublié, malgré le succès retentissant dont il avait bénéficié en son temps. Michel Zévaco, auteur de la sage littéraire Les Pardillan, a en outre connu un destin étonnant, marqué par son sens de la provocation.

Michel Zévaco

Pour s'intéresser à Michel Zévaco, il convient d'étudier sa vie avant son œuvre : Michel Zévaco est né à Ajaccio le 1er février 1860. Son père, Antoine, est tailleur pour l'armée, et c'est dans le cadre de ses fonctions qu'il doit souvent déménager, en emportant avec lui toute sa famille. Ainsi, Michel a 9 ans lorsqu'il quitte la Corse.

Zévaco est dans un premier temps attiré par l'enseignement. Néanmoins, son caractère déjà anticonformiste participe sans doute à lui faire arrêter ses études au milieu de sa seconde année. Il obtient néanmoins un poste d'enseignant au collège de Vienne en 1880, où il est sans cesse vivement critiqué par ses collègues et supérieurs hiérarchiques. Il est finalement renvoyé, pour avoir "enlevé" l'épouse d'un conseiller municipal : à l'époque, on parle d'enlèvement quand une femme quitte son mari pour quelqu'un d'autre !

Le Boute-Charge, recueil de nouvelles et premier écrit publié de Michel Zévaco

N'ayant manifestement toujours pas compris lui-même que son problème, c'est la discipline, Michel se rabat sur une carrière militaire, et rejoint ainsi les dragons de Cambrai dès 1882. Sans surprise, il enchaîne les actes de rébellion. Ainsi, on raconte qu'il mentait aux officiers pour couvrir les soldats qui découchaient, qu'il passait ses rondes à boire, qu'il oubliait régulièrement son sabre, qu'il avait laissé s'échapper un cheval... Plus surréaliste encore, l'anecdote veut que lorsque le maréchal des logis l'avait fait mander, il avait renvoyé le messager annoncer à l'officier qu'il préférait dormir ! Malgré tout, Michel fût rapidement promu sous-officier, mais on l'autorisa tout naturellement à quitter l'armée, dès qu'il le demanda, en 1886.

Désœuvré, Michel Zévaco se rend alors à Paris, où il profite d'un petit boulot peu prenant pour enfin se lancer dans la discipline de ses rêves : l'écriture. Ainsi, en 1888, paraît son premier ouvrage, Le Boute-Charge, esquisses militaires, recueil de dix-neuf nouvelles militaires qui mettent en avant les nobles valeurs de l'armée, dont, avec le recul, Michel garde plutôt un bon souvenir.

Mais cette année 1888 est aussi celle durant laquelle les instincts militants de Michel se confirment. Il se rapproche alors des milieux socialistes, et abandonne un temps ses ambitions littéraires pour se consacrer au journalisme politique, notamment au sein du journal "l'Egalité", journal socialiste révolutionnaire, dont il devient rapidement l'un des rédacteurs en chef. La suite naturelle de cet engagement est sa candidature à l'élection législative de 1889, à l'issu de laquelle il ne récolte que 1,1% des voix, mais qui lui offre l'occasion d'écrire son premier feuilleton, Roublard & Compagnie, les triporteurs du socialismes dont l'intrigue correspond au déroulement de la campagne.

A partir de là, Zévaco est de tous les combats d'extrême gauche : syndicaliste, féministe, anarchiste, anticléricaliste... Certaines sources lui attribuent même un engagement d'autonomiste corse ! Il multiplie les provocations au travers de ses articles, notamment à l'encontre de sa cible favorite, le ministre de l'Intérieur Ernest Constans, qu'il finit par tout simplement provoquer en duel ! L'occasion est trop bonne pour les autorités, qui utilise ce prétexte pour le faire emprisonner, sous la charge de "provocation au meurtre". Loin d'être découragé par ce revers de fortune, Michel commande une grande grève des chauffeurs et ouvriers gaziers depuis sa cellule, plongeant tout Paris dans le noir.

Néanmoins, à sa sortie de prison, Michel est jugé trop extrême par bon nombre de ses compagnons de lutte, et devient la bête noire des anarchistes. Presque seul contre tous, il maintient l'Egalité à flot quelques temps, réussissant même des actions d'éclats marquantes... Mais ni ses quelques feuilletons, ni ses articles de plus en plus provocants à l'encontre du gouvernement et de l'église ne suffisent à sauver la publication, et l'Egalité ferme ses portes en 1891, année durant laquelle le journal dût faire face à pas moins de neuf procès.

La répression à l'encontre des anarchistes ne se calment pas pour autant, et Michel est à nouveau jeté derrière les barreaux pour apologie du terroriste Ravachol. Par la suite, il soutiendra aussi Dreyfus et les mouvements féministes qui luttent pour le droit à l'avortement.

Portrait de Zévaco par son ami Oswald Heidbrinck

Néanmoins, devenu père de trois enfants, Michel Zévaco doit faire quelques concessions pour subvenir aux besoins de sa famille. On le soupçonne d'avoir jouer le rôle de nègre littéraire pour quelques feuilletonistes, et il décide finalement de devenir vraiment romancier dès 1900, alors qu'il publie son premier roman historique Le Chevalier de la Barre, et réduit au minimum ses prises de positions politiques.

Devenu ami avec Jean Jaurès, Michel a la possibilité de débuter la publication de Borgia ! dans les pages de "La Petite République socialiste". Il enchaîne ensuite en 1905 avec un contrat au sein du journal "Le Matin", pour lequel il écrit des feuilletons, de façon régulière, jusqu'à sa mort en 1918. Entre temps, Michel est devenu l'un des auteurs de feuilletons les mieux payés du début du siècle (1 Franc la ligne) et une véritable star du roman populaire, à l'instar de l'excellent Gaston Leroux (auteur du Fantôme de l'Opéra et du Mystère de la chambre jaune, entre autres, ainsi que de quelques histoires en lien avec la Corse, qui feront l'objet de prochains articles). Dès 1914, Zévaco voyant plusieurs de ses histoires adaptées au cinéma, décide lui aussi de créer sa propre entreprise de production audiovisuelle, au sein de laquelle il rédige plusieurs scénarios inspirés de la vie parisienne.

Il serait fastidieux de lister ici tous les ouvrages de Michel Zévaco, mais ce lien vous conduira vers une liste exhaustive des 35 nouvelles et 26 romans qu'on lui connaît. Néanmoins, il est primordial de s'étendre sur Les Pardaillan, une série de dix romans de cape et d'épée, qui lui valut une grande renommée à l'époque. Cette immense saga débute en 1553 et se poursuit jusqu'à la fin de la vie de Louis XIII, et suit les aventures du héros rebelle et séducteur Pardaillan, fréquemment opposé à son ennemie et âme sœur la princesse Fausta, descendante machiavélique des Borgia.

A la façon des Trois Mousquetaires de Dumas, mais en plus explosif encore, Les Pardaillan mêle fiction et réalité historique, rendant ses personnages principaux directement responsables de certains événements marquants des XVIème et XVIIème siècles. L'œuvre en elle-même marqua tant les esprits que de nombreux auteurs plus récents en parlent avec beaucoup d'émotion :

" Surtout, je lisais tous les jours dans Le Matin, le feuilleton de Michel Zévaco : cet auteur de génie, sous l’influence de Hugo, avait inventé le roman de cape et d’épée républicain. Ses héros représentaient le peuple ; ils faisaient et défaisaient les empires, prédisaient dès le XIVe siècle la Révolution française, protégeaient par bonté d’âme des rois enfants ou des rois fous contre leurs ministres, souffletaient les rois méchants. Le plus grand de tous, Pardaillan, c’était mon maître : cent fois, pour l'imiter, superbement campé sur mes jambes de coq, j’ai giflé Henri III et Louis XIII. "

- Jean-Paul Sartre

Réclame de l'époque

Tranquillement, Zévaco se range, et finit même par consentir à régulariser son union avec Francesca Passerini, mère de ses cinq enfants, afin de légitimer ses derniers, qu'il emmène régulièrement en vacances dans leur maison de campagne.

Lors de la première guerre mondiale, durant laquelle ses deux fils aînés sont mobilisés, Zévaco crée un code chiffré qu'il offre au ministère de la Guerre, étant donné que sa santé et son âge ne lui permettent plus de participer physiquement aux combats.

Aujourd'hui, les œuvres de Michel Zévaco se sont bien sûr élevées dans le domaine public, mais demeurent néanmoins assez difficile à trouver, les republications s'étant faites assez rares. Rendez-vous sur cette page pour en trouver quelques unes en format pdf gratuit, et notamment l'intégrale des Pardaillan.

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