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Les Habits Noirs, saga littéraire de Paul Féval

Au XIXème siècle, en France, Paul Féval (1816 - 1887) était considéré comme l'un des plus grands auteurs de romans populaires de son temps, et n'avait donc rien à envier à Balzac ou Dumas. Néanmoins, Féval enviait Dumas au moins pour une chose : Dumas, lui, avait écrit le Comte de Monte-Cristo. Qu'à cela ne tienne, Féval entreprit d'écrire une saga romanesque équivalente et fortement inspirée par le Comte de Monte-Cristo : Les Habits Noirs.

Couverture évocatrice du premier livre de la série

Malheureusement, en matière de fiction, quand on parle de la Corse, les auteurs tombent bien souvent dans les deux mêmes clichés : les histoires de vengeance sanglante, et les histoires de crime organisé. Clairement, Paul Féval est en partie responsable de ce phénomène, puisque son immense saga littéraire Les Habits Noirs parle à la fois de vengeance et de crime organisé, et met en scène une famille corse.

Le point de départ de l'intrigue de ce roman ressemble en de nombreux points à celui du Comte de Monte-Cristo, jugez plutôt : en 1825, à Caen, André et Julie Maynotte (la sonorité, proche de "menottes", est sans doute intentionnelle) sont deux jeunes gens mariés et épris l'un de l'autre, d'origines corses. Ils vivent heureux, avec leur bébé, et confortablement, grâce au travail d'artisan armurier d'André. Mais tout bascule le jour où un coffre-fort sur lequel André avait travaillé se fait vider des 400 000 francs qu'il contenait, et que, malchance ultime, un "brassard de fer" appartenant à André est retrouvé coincé dans un des mécanismes anti-vol du coffre. André, pourtant innocent, est immédiatement jeté en prison.

Ce n'est que grâce à un co-détenu qu'André finit par comprendre ce qui lui est arrivé : il découvre qu'il n'est que la malheureuse victime d'une vaste organisation criminelle secrète, surnommée les Habits Noirs, dont les membres ont pour habitude de toujours fournir un coupable idéal aux crimes qu'ils commettent. Ainsi, les enquêtes de police sont systématiquement vite expédiées, et les Habits Noirs peuvent continuer à agir dans l'ombre, sans même être connus des autorités.

André parvient à s'évader une première fois, mais seulement à temps pour assister, impuissant, au mariage de Julie avec un certain Schwartz, complice des Habits Noirs. Il est à nouveau emprisonné, et ne s'évade que quinze ans plus tard, cette fois bien décidé à se venger de tous ses ennemis, avec l'aide de ses complices "Trois-Pattes" et M. Bruneau.

Ainsi, les ressemblances entre André Maynotte et Monte-Cristo sont nombreuses. D'ailleurs, le personnage n'est pas non plus sans rappeler le Bossu, héros d'un autre roman éponyme de Féval, qui, lui aussi, maniait les fausses identités et la ruse pour assouvir sa vengeance. Néanmoins, on peut noter que Maynotte se différencie des deux autres par la façon dont il atteint finalement son but, et par le fait qu'il ne devient jamais riche.

Couverture de la version anglaise du roman

Dans les Habits Noirs, les origines corses des personnages principaux paraissent très importantes dans leurs caractérisations, puisque André les rappellent (trop) fréquemment, et que Julie n'est qu'un nom francisé, la jeune femme s'appelant à l'origine Giovanna, et ne souhaitant pas être traitée comme une étrangère par les français.

Parmi les sorties mémorables d'André, on retrouve des répliques telles que "Je suis fils de cette sombre terre où la vengeance est une religion", ou encore "J'ai du sang corse plein les veines". Rien que ça !

De plus, l'une des révélations majeures du livre (attention : spoilers) est la révélation de l'identité du "Père de tous" (comprenez chef) des Habits Noirs : il s'agit en réalité du Colonel Bozzo-Corona, lui aussi corse, parent de Julie/Giovanna, qui n'avait jamais toléré son union avec André, issu d'un milieu plus pauvre que le sien. C'était donc afin de l'éloigner d'elle que le Colonel piégea André.

Ainsi, les Habits Noirs, bien qu'étant une organisation tentaculaire aux ramifications mondiales (pré-datant largement la mafia italienne et la bien réelle Union Corse), il apparaît que beaucoup de ses membres importants sont corses. A l'instar, par exemple, de Lecoq (surnommé Toulonnais l'Amitié), bras droit du colonel, autrefois amoureux de Giovanna, lui aussi.

Portrait de Paul Féval

D'ailleurs, l'organisation des Habits Noirs est la vraie star du roman ! Il faut dire que les coutumes et origines mystérieuses de ses membres sont assez fascinantes, et ont sans doute participé à lancer la mode des histoires de complot, de crime organisé et de sociétés secrètes. On retiendra, par exemple, le mot de passe de l'organisation "Fera-t-il jour demain ?", qui signifie, en réalité "Un crime sera-t-il commis demain ?"

On encore, le mystère entourant leur base d'opération, prétendument cachée dans les sous-terrains du couvent de la Merci, proche de Sartène, possédé par le Comte Bozzo-Corona, et que certains personnages surnomment la "capitale du brigandage européen".

Sans surprise, Paul Féval continua à mettre en scène les membres des Habits Noirs, dans sept autres romans, formant, tous ensemble, le cycle des Habits Noirs, rédigé sur près de 15 ans (de 1863 à 1875). Finalement, l'organisation est même le seul élément commun à tous les romans de la série, tant Féval s'amuse à constamment changer d'époque, de sujet et de point de vue.

Liste des romans du cycle des Habits Noirs :

- Les Habits Noirs, contant la vengeance d'André Maynotte contre le colonel Bozzo-Corona, noble sartenais.

- Coeur d'acier, contant l'ascension au sein de l'organisation de la séductrice Marguerite Sadoulas.

- La rue de Jérusalem, contant des opérations criminelles des Habits Noirs couvertes par Lecoq, devenu chef de la Sûreté.

- L'arme invisible, contant la lutte entre le magistrat Rémy d'Arx et le colonel Bozzo-Corona.

- Maman Léo, suite directe de L'arme invisible, tenant son titre du surnom de la dompteuse de fauves Léocadie Samyoux, personnage important des deux romans.

- L'avaleur de sabre, contant la vie de Saladin, voyou de bas étage élevé dans le cirque de Maman Léo.

- Les compagnons du trésor, contant la quête de l'architecte Vincent Carpentier pour retrouver le trésor des Habits Noirs.

- La bande cadet, dernier tome, qui achève l'intrigue du précédent.

Les Habits Noirs fût aussi adapté en feuilleton télévisé en 1967. 31 épisodes de seulement 15 minutes chacun reprenaient les événements du premier roman.

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