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Le Maître de la Lumière, roman merveilleux scientifique de Maurice Renard

Aujourd'hui, on s'intéresse à un roman des années 1930, très peu connu, mêlant plusieurs genres littéraires de façon surprenante : le Maître de la Lumière, de Maurice Renard. L'occasion aussi de parler un peu de l'un des principaux acteurs du merveilleux scientifique.

Maurice Renard, auteur de romans fantastiques et scientifiques

S'il n'y a plus que les passionnés de proto-science-fiction pour se souvenir de Maurice Renard, il ne faudrait pas pour autant minimiser l'importance que l'auteur français a eut sur la littérature et sur le genre S.F. en général. Maurice Renard est né en 1875, a commencé à écrire dès le début du XXème siècle, et ne s'est jamais arrêté jusqu'à sa mort en 1939.

On fait souvent l'erreur de croire que littérature francophone et récit de science-fiction (terme fourre-tout qui englobe aussi bien le roman scientifique que l'anticipation, ou encore certains récits fantastiques) ne font pas bon ménage. Pourtant, même en dehors de Jules Verne, ou, plus récemment, des auteurs comme Barjavel (Ravage) ou Boulle (La Planète des Singes), il existait, en France, toute une littérature mêlant science et imagination.

C'est durant l'entre-deux guerres que des auteurs comme J.H. Rosny, Gustave Lerouge, Léon Groc et bien d'autres ont fait vivre ce genre, qui, à l'époque, n'avait pas encore d'appellation bien définie. Et ce, malgré un véritable succès populaire longtemps au rendez-vous ! Le terme qui semblait alors le mieux englober tout ce mouvement, c'était celui de "merveilleux scientifique", dont on attribue parfois la paternité, justement, à Maurice Renard.

Renard aimait beaucoup ce genre de récits, et a donc rempli une bonne partie de son œuvre d'inventions extraordinaires, de phénomènes scientifiques spectaculaires et de surhommes aux capacités étranges. Le Docteur Lerne, sous-dieu, Le Péril bleu, Les Mains d'Orlac ne sont que trois des nombreux romans et nouvelles qu'il écrivit, et qui, malheureusement, finirent par tomber dans l'oubli. Pourtant, il est arrivé que certains concepts inventés dans leurs pages soient si frappants, si évocateurs, qu'ils se sont inscrits dans l'inconscient collectif et la culture populaire.

Ainsi, le "merveilleux scientifique" apparaît comme le genre de prédilection de Maurice Renard, sans pour autant être le seul dans lequel il s'est exprimé : on peut aussi citer le roman policier, le fantastique, ou même les histoires d'amour.

Lorsqu'on lit Renard aujourd'hui, on peut certes s'émouvoir de (re-)découvrir les premières ébauches de concepts scientifico-allégoriques aujourd'hui sur-représentés en littérature et au cinéma, mais on prend aussi un vrai plaisir à lire ces histoires toujours soigneusement structurées et racontées. Si Verne délaissait souvent le style et la forme au profit de ses idées extraordinaires, Maurice Renard essaie avant toutes choses de raconter des intrigues vraiment prenantes.

La couverture de la dernière édition du roman, datant des années 40

Le roman Le Maître de la Lumière, qui nous intéresse tout particulièrement aujourd'hui, fût initialement publié sous forme de feuilleton durant l'année 1933. Ce n'est qu'après le décès de Renard qu'une version reliée a enfin été éditée.

On nous y raconte l'histoire d'un jeune historien d'origine corse, Charles Christiani, qui tombe amoureux d'une certaine Rita, croisée par hasard lors d'un voyage. Après seulement une après-midi passée aux côtés de la jeune femme, Charles souhaite déjà la demander en mariage. Malheureusement, une terrible convenue l'attend : Rita est en réalité le surnom de Marguerite Ortofieri, dernière descendante d'une autre famille corse, rivale de longue date des Christiani !

Si, façon Roméo et Juliette, Charles et Rita s'aiment assez pour oublier les différents de leurs deux maisons, il y a un événement qu'aucun de leurs parents ne sont prêts à pardonner : un siècle plus tôt, le capitaine pirate César Christiani fût assassiner d'une balle. Le coupable ne fût jamais appréhendé, mais les Christiani ne se sont pas privé d'accuser ouvertement, et sans preuve, un Ortofieri. L'incertitude ne fit qu'augmenter la frustration et la haine des membres des deux familles.

Rien que de très classique jusque là : des amants maudits, une haine ancestrale entre leurs deux familles, le poids du passé... On nous ressort même le poncif du rival amoureux antipathique et prêt à toutes les fourberies, en la personne de Luc de Certeuil, le potentiel fiancé de Rita. Mais l'histoire prend un tournant inattendu lorsque César fait une découverte incroyable dans le bureau de son aïeul César : une plaque de luminite !

La luminite, c'est le nom que le vieux capitaine avait donné à cette roche étrange sur laquelle il était tombé lors de l'une de ces expéditions. D'apparence transparente, comme du verre, la luminite est en réalité capable d'absorber la lumière, et de la ralentir considérablement. Ainsi, ce qu'on voit au travers de la luminite, ce sont les images du passé, un peu à la façon des étoiles que l'on voit briller avec des milliers d'années de retard...

Plus la plaque est épaisse, plus la lumière est ralentie. Le capitaine Christiani a même droit à un aperçu du jurassique ! La plaque trouvée par Charles, en revanche, montre les images d'il y a un siècle.

Fort de cette découverte, Charles reprend espoir. Avec l'aide de sa sœur Colomba et de son beau-frère Bertrand, il ré-ouvre l'enquête sur l'assassinat de son ancêtre : s'il parvient à innocenter les Ortofieri, cela pourrait bien marquer la fin de la vendetta entre les deux familles. Et, alors, plus rien ne l'empêchera d'épouser Rita.

Autre couverture du roman, qui n'a pas grand chose à voir avec son contenu

Le Maître de la Lumière n'est pas le genre de roman qu'on peut ranger dans une seule catégorie : si les enjeux sont ceux d'une histoire d'amour, les détails empruntent au récit historique et à la science-fiction, tandis que la structure est clairement celle d'un roman policier. Il n'est pas rare que le genre du roman d'amour soit mêlé à celui du fantastique, surtout lorsque la thématique principale de l'histoire tourne autour du passé. Le plus souvent, l'auteur utilise des fantômes pour symboliser les secrets enfouis et les drames passés, que les héros doivent apprendre à surmonter pour enfin vivre librement leur passion. Ici, le procédé est identique, mais avec une invention super-scientifique, la luminite. Ce qui rend la luminite "scientifique" au lieu de "magique", c'est tout simplement les explications "rationnelles" de ses propriétés physiques par le personnage de Charles.

Le côté roman historique est quant à lui assuré par l'intrigue secondaire qui lie les vies de César Christiani à celles de Napoléon Bonaparte et de Giuseppe Fieschi : César et Napoléon étant nés le même jour à Ajaccio et s'étant fréquentés enfants, tandis que l'assassinat de Christiani a eu lieu simultanément de l'attentat à la machine infernale de Fieschi (une anecdote historique bien réelle qui mérite un article). Le fait que les trois personnages soient d'origine corse aura aussi une importance surprenante dans le dénouement de l'intrigue !

J'ai personnellement particulièrement apprécié l'enquête policière au centre de récit. L'auteur ne s'est pas contenté de l'invention de la luminite pour justifier les découvertes faites par les personnages : extraits de journaux intimes ou de procès verbaux, témoignages indirectes, films, portraits... De découverte en découverte, Charles et ses alliés doivent faire preuve d'une grande ingéniosité pour décoder les indices et enfin percer à jour la vérité, un siècle après les faits. La recette fonctionne, puisqu'on finit par s'amuser à essayer de deviner l'identité du coupable avant les personnages ! En outre, la résolution finale est tout à fait satisfaisante, tant du point de vue thématique que narratif.

J'ai simplement déploré une petite faiblesse, vers la fin. Un simple deus ex machina qui m'a fait grincer des dents (pour ceux qui l'ont lu : les fantasmes de l'époque sur les animaux exotiques m'étonnent à chaque fois). Autre point légèrement négatif : le personnage de Charles est de loin le plus agaçant de tous. Passéiste à l'extrême, un peu mou, il ne remplit que difficilement son rôle de héros. Pourtant, les personnages, tout en nuances, sont vraiment l'un des points forts du roman. Sauf le héros, donc, ce qui est bien dommage.

Enfin, je tiens à souligner que le gros de l'intrigue se déroule à Paris, et que les personnages, bien qu'à peu près tous corses, ne mettent jamais les pieds sur l'île. On a d'ailleurs l'impression que les recherches de l'auteur sur la culture et l'histoire corses se sont limités à une relecture de Mérimée (ce n'est pas pour rien que la petite sœur de Charles s'appelle Colomba), ce qui induit forcément quelques clichés et confusions.

Cependant, les allusions à la Corse ne servent pas pour autant uniquement à planter le décor. Comme je l'ai écrit plus haut, elles jouent un rôle vraiment important dans la résolution du mystère. Un détail qui plaira sans doute aux amateurs.

Aujourd'hui dans le domaine public, le Maître de Lumière est très simple à trouver gratuitement sur internet, aussi bien en pdf que dans des formats adaptés aux liseuses électroniques. Cependant, il n'existe aucune réimpression moderne de ce roman qui n'a pourtant pas tant vieilli.

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