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Colomba, nouvelle de Prosper Mérimée

J'ai longuement hésité avant de vous parler de Colomba, nouvelle de Prosper Mérimée, étant donnée qu'elle me paraissait connue de tous. Pourtant, de temps à autres, je continue de croiser de jeunes corses qui n'en ont jamais entendu parler, ou qui n'ont qu'une idée très vague de ce dont il s'agit. Il est donc temps de remettre les points sur les i !

Colomba, couverture de l'une des nombreuses rééditions

Le contexte d'écriture de Colomba est peut-être encore plus connu que l' œuvre elle-même : en 1834, Prosper Mérimée est nommé inspecteur des Monuments historiques, et commence alors une grande série d'expéditions partout sur le territoire français, dans le cadre de ses fonctions. C'est ainsi qu'il entame une exploration méthodique de la Corse dès 1839. En outre, Mérimée était déjà fasciné par l'île et ses mœurs bien avant d'y poser le pied, puisqu'il écrivait la nouvelle Mateo Falcone, elle aussi se déroulant en Corse, en 1829 (soit dix ans plus tôt).

C'est lors d'une escale à Olmeto que l'archéologue rencontre la véritable Colomba, et qu'il découvre la sordide histoire de vendetta à laquelle elle prit part. Si c'est la vie de cette Colomba qui lui inspira l'intrigue de sa nouvelle, c'est surtout de sa fille, Catherine Bartoli, dont il s'inspira pour créer le personnage en lui-même. En effet, la jeune femme de vingt ans lui fit très forte impression ! Ainsi, il écrira qu'il se sent "encore ensorcelé", plus de quinze jours après leur rencontre. Une anecdote selon laquelle la petite Catherine avait administré une violente raclée à un ouvrier, alors qu'elle n'avait que 16 ans, acheva de convaincre Mérimée de sa nature exceptionnelle et romanesque...

Portrait de Prosper Mérimée

De retour en France, Prosper Mérimée entame sans tarder la rédaction d'une nouvelle nourrie par toutes les anecdotes glanées au cours de son voyage (et, un peu, de ses fantasmes), et logiquement intitulée Colomba.

Colomba nous raconte le retour en Corse en 1819 d'Orso della Rebbia, un ancien lieutenant de la garde impériale, mis à l'écart depuis la chute de Bonaparte, à l'instar de nombreux autres soldats d'origine corse. Deux ans plus tôt, son père fût assassiné, et l'enquête des forces de l'ordre avait conclu que le crime avait été commis par le "bandit d'honneur" Spada.

Or, Colomba, la jeune sœur d'Orso restée sur l'île, ne s'est jamais satisfaite de cette version officielle : selon elle, les véritables coupables sont les membres de la famille Barricini, depuis longtemps rivaux des della Rebbia. L'avocat Giudice Barricini, chef de la famille, aurait selon elle usé de son immense influence pour étouffer l'affaire.

Dans pareilles circonstances, Colomba tente, sans jamais se décourager, de convaincre son frère, maintenant chef de famille à son tour, de venger la mort de leur père, en prenant les armes contre les Barricini. Ainsi, elle compte bien le forcer à honorer la tradition locale de la vendetta, selon laquelle, lorsqu'on a un ennemi, on est obligé de choisir parmi les trois S : schioppetto, stiletto o strada (fusil, stylet ou fuite).

Mais Orso voit les choses différemment depuis son départ de Corse : il aspire maintenant à une justice rendue dans le cadre du respect de la loi et de l'ordre. Ainsi, Colomba doit faire preuve de ruse et de manipulation pour arriver à ses fins, et peut compter sur les soutiens de ses alliés bandits, surnommés le Curé et Brando, ainsi que celui de Michelina, la nièce de ce dernier, et de leur chien Brusco.

En outre, il arrive aussi à la jeune femme de prendre directement part aux combats, exprimant ainsi son don naturel pour la violence et son étonnante force physique. C'est uniquement pour préserver l'honneur de chef de clan de son frère qu'elle refuse de faire tout le travail à sa place.

En parallèle de cette intrigue sanglante, Orso vit un début de romance avec Miss Lydia Nevil, jeune irlandaise en voyage sur l'île avec son père, le Colonel Nevil, qu'Orso rencontre sur le bateau qui le conduit à Ajaccio au début de la nouvelle. La jeune femme est immédiatement fasciné par le caractère de Colomba et l'aspect si romanesque de la vie des Della Rebbia. Ce n'est que plus tard qu'elle comprend que les dangers et les horreurs de cette vie sont bien réels.

Illustration représentant Colomba, tentant de convaincre Orso de prendre les armes

Après avoir lu Colomba, on peut se demander qu'elle est la part de réalité historique conservée par Mérimée. En vérité, dans un premier temps, il est intéressant de constater que la plupart des noms des intervenants ont été modifiés (sans doute dans le but de préserver la vie privée de ceux d'entre eux qui vivaient encore) : ainsi, les Carabelli sont devenus les della Rebbia, et les Durrazzo les Barricini.

En outre, comme dit plus haut, le personnage de Colomba version Mérimée emprunte beaucoup à la fille de la véritable Colomba. En effet, au moment des faits dont s'inspire la nouvelle, Colomba était déjà âgée de près de 57 ans, et mère de famille.

Enfin, le lieu de l'intrigue a lui aussi été modifié : dans le livre, le village où vivent les della Rebbia et les Barricini se nomme Pietranera, nom emprunté par Mérimée à un hameau du cap. Selon la croyance populaire, la véritable vendetta a eut lieu à Olmeto, village effectivement visité par l'auteur. Néanmoins, cette version-ci est tout aussi fausse que la première !

En réalité, cette confusion vient du fait que Colomba (la vraie) a épousé un Bartolli d'Olmeto, où elle a fini sa vie. Néanmoins, le véritable théâtre du drame se trouve être le village de Fozzano, il est vrai non loin d'Olmeto. Vous suivez ?

Donc, pour résumer le déroulé des véritables événements : en 1830, à Fozzano, un Durazzo refuse d'épouser une jeune fille Carabelli, qu'il a pourtant déjà "compromise". Lors de la confrontation entre les deux familles, sensée calmer les esprits, les choses s'enveniment, et trois hommes sont tués, dont deux Carabelli. Colomba décide alors d'organiser la mobilisation de tous les alliés de sa famille, afin d'assouvir une vengeance sans pitié à l'encontre des Durazzo. Finalement, dans les affrontements qui suivirent, quatre hommes sont tués : deux Durazzo et deux Carabelli, dont le propre fils de Colomba.

Chose étonnante : la version romancée de Mérimée contient ainsi beaucoup de morts violentes qu'il y en a effectivement eut !

Illustration représentant Colomba forçant Orso à regarder le lieu de l'assassinat de son père

Initialement publiée en 1840 dans la Revue des deux mondes, la nouvelle connut un franc succès et suscita un certain engouement pour les histoires de vengeances corses. Ainsi, de nombreux autres auteurs de l'époque, et jusqu'à nos jours, prirent plaisir à user des mêmes ficelles et thèmes dans leurs propres romans et nouvelles, à l'instar d'Alexandre Dumas (Les Frères Corses) ou de Gaston Leroux (La Femme au collier de velours).

Bien entendu, la nouvelle fût aussi le sujet de nombreuses adaptations sous diverses formes, allant du film de cinéma (le premier datant tout de même de 1915 !) à la bande-dessinée, en passant par le téléfilm et même l'opéra. Contrairement aux adaptations des Frères Corses, celles de Colomba respectent toutes assez scrupuleusement la trame de l'œuvre d'origine.

A chaque époque et support, son adaptation de Colomba

Néanmoins, un détail amusant qui mérite d'être soulevé est qu'il y a une chose que toutes les adaptations du Colomba de Mérimée se plaisent à modifier : le physique de l'héroïne. En effet, vous imaginez sans doute Colomba comme une femme très brune, au teint mat, au visage dur et aux yeux noirs et perçants... Après tout, même les couvertures des rééditions de la nouvelle la représente ainsi, perpétuant ainsi une idée reçue dont l'origine paraît maintenant obscure !

Pourtant, Mérimée n'avait pas été avare en descriptions précises de la jeune femme :

"Elle était grande, blanche, les yeux bleu foncé, la bouche rose, les dents comme de l'émail. [...] De longues nattes de cheveux châtains lui formaient comme un ruban autour de la tête."

Dans ses notes de voyage en Corse, Mérimée justifie même cette apparence par une étude quasi ethnique des peuples corses. Ainsi, selon ses observations personnelles, à l'époque, les habitants du nord de l'île, qui connaît une plus grande influence du reste de la méditerranée, étaient souvent bruns aux yeux noirs, alors que les habitants du "delà-des-monts" (le sud de l'île), plus "sauvages" et isolés, avaient généralement le teint clair et les yeux bleus. C'est cette dualité des types que Mérimée souhaitait représenter avec Colomba (typée sud de l'île) et Orso (typé haute-Corse).

Pour une raison obscure, Colomba est toujours brune aux yeux noirs, dans les adaptations

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